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Rapports
 
Le passage des frontières par les migrants de l’Afrique occidentale française au Congo belge (1895-1960)

Rapport d’activité, 2008-2009 [1]
Daouda Gary-Tounkara

De septembre 2008 à août 2009, j’ai entrepris deux recherches postdoctorales dans le cadre d’un programme de l’Agence nationale de la recherche (ANR) Les Suds / Institut de recherche pour le développement (IRD) / Laboratoire Développement et sociétés-université Paris-1 (UMR 201) et d’un programme de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) / université de Dakar (Sénégal). Il s’agissait d’étudier les transformations des mobilités dans la région de Sikasso au Mali – « Circulations frontalières et renouvellements historiques de la migration : Sud Mali » (septembre 2008-février 2009) – d’une part et, d’autre part, au Sénégal, les transferts d’argent des migrants de l’Afrique occidentale française – « Migrations africaines, “territoires circulatoires” et remises d’épargne des travailleurs originaires de l’Afrique occidentale française » (mars-août 2009). Au Mali et au Sénégal, j’ai ainsi collecté des sources archivistiques, orales, statistiques et cartographiques, dans les dépôts d’archives suivants :
 Archives nationales du Mali (ANM), à Bamako,
 Archives du ministère de l’Administration territoriale et des Collectivités locales (AMATCL), à Bamako,
 Archives de la région de Sikasso, à Sikasso,
 Archives de la commune urbaine de Sikasso, à Sikasso,
 Archives nationales du Sénégal (ANS), à Dakar.

À quelques exceptions près, il n’existe pas de données précises sur les flux migratoires ou financiers, d’où la nécessité d’opérer un travail fastidieux de dépouillement des sources archivistiques, en partant du général (affaires politiques et administratives, correspondance...) au particulier (agriculture, travail, main-d’œuvre, économie ...). Les rapports politiques par colonie (série 2G à Dakar et E à Bamako) contiennent des données éparses sur les échanges migratoires et financiers. On peut les compléter par la suite par les séries économiques (Q à Dakar et Bamako), sur le travail et la main-d’œuvre (S dans les deux dépôts d’archives). Il faut ensuite resserrer l’analyse à l’échelle du cercle ou de la région ; à Dakar qui abrite les archives de l’ancienne AOF, il est également utile de consulter les séries par pays, ce que j’ai commencé à faire pour le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Soudan et la Guinée. Au Mali, les archives du ministère de l’Intérieur (AMATCL) traitent de l’administration territoriale en général et des frontières en particulier ; on y retrouve aussi les actes officiels, correspondances, élections, circulaires, rapports et revues mensuelles et trimestrielles d’événements... Elles ont leur pendant régional au niveau des archives de la région de Sikasso où les sources produites par le gouverneur témoignent de son administration dans la zone frontalière entre le Mali, le Burkina, la Côte d’Ivoire et la Guinée. Enfin, les archives de la ville de Sikasso, sises dans l’enceinte de la mairie, retracent l’histoire de la ville et de son peuplement. Mais elles sont d’un accès difficile en raison du manque de personnel et de l’exigüité des locaux.

Je l’ai dit, les archives sur les migrants et leurs transferts sont malaisées à localiser et interpréter, il convient dès lors de les croiser avec d’autres types de source que sont les archives statistiques, orales et cartographiques. Dans ce dessein, j’ai collecté des données démographiques à l’Institut national de la statistique, à Bamako ; les recensements généraux de la population (1976, 1988, 1998) traduisent les changements dans la population totale du pays par âge, sexe, profession mais aussi par région et ville, ce qui est utile pour apprécier les mutations démographiques à Sikasso. Les recensements généraux de la population ignorent toutefois les remises d’épargne des migrants. Même si ces dernières échappent dans leur grand nombre aux canaux officiels, j’ai accédé à des statistiques relatives aux envois d’argent des migrants ouest-africains au niveau de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) [2] à Dakar. Il s’agit d’estimations construites par les économistes de la BCEAO pour les États membres. Mais elles passent sous silence les transferts financiers des migrants durant la période coloniale.

L’analyse critique des récits de vie des migrants permet de compenser en partie cette lacune. Les enquêtes orales sur les parcours des migrants ont été menées au Mali et au Sénégal. J’ai ainsi été à Bamako, Bougouni, Sikasso, Kadiolo et dans les villages de Digan, Kléla, Lolouni, Faragouaran – qui abrite un camp de réfugiés ivoiriens et libériens –, à Dakar, pour le Sénégal. Les hommes et les femmes interrogées sont des migrants (ou des anciens migrants), des personnes restées dans leur lieu de vie et des fonctionnaires en charge du contrôle de la mobilité des personnes. Ce travail qui est en partie analysé m’a permis de restituer les trajectoires des migrants, leurs représentations de la mobilité et des lieux. Enfin, en vue de retracer l’histoire de l’urbanisation de Sikasso, j’ai entamé une recherche des cartes de la ville à l’Institut géographique du Mali à Bamako et à son antenne à Sikasso.

Mes recherches se poursuivent et se recentrent donc sur le thème des passages de frontières de l’Afrique occidentale au Congo belge de 1895, année de la constitution de la fédération des colonies, à 1960, année de l’indépendance des anciens pays de l’AOF, à l’exclusion de la Guinée, devenue souveraine en 1958. Il s’agit non seulement d’écrire une histoire sociale et politique des migrations internes à l’Afrique mais aussi de mettre en lumière les conditions de la mobilité des personnes entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale. D’où viennent les migrants établis au Congo belge ? Quels circuits terrestres ou maritimes ont-ils emprunté ? Dans quelle mesure s’agit-il d’une entreprise individuelle ou encadrée par la puissance publique ? Les migrants respectent-ils ou pas la législation dans le domaine de la circulation, de l’entrée et du séjour des étrangers dans les pays d’origine, de transit et d’arrivée ? Quelles sont leurs perceptions de la ou des frontières entre l’Afrique occidentale française et le Congo belge ? Ces frontières recouvrent-elles ou pas les frontières politiques et administratives ? Quels rapports entretiennent-ils avec les populations et le pouvoir local ? Quelles sont les échanges avec les sociétés d’origine ?

Pour mener à bien cette recherche, j’ai prévu de mener une recherche archivistique et documentaire sur plusieurs sites, tout d’abord à Bruxelles, en Belgique, dans l’ancienne métropole, puis à Kinshasa, en république démocratique du Congo et, enfin, à Aix-en-Provence en France. Je prépare actuellement la mise en œuvre de ces différents terrains, en même temps que je m’imprègne de la littérature sur les migrations et les frontières.


[1AOF : Sénégal, Guinée, Mauritanie, Haute-Volta (actuel Burkina Faso), Niger, Soudan (Mali), Dahomey (Bénin)

[2Créée en 1962, la BCEAO est en charge de la coordination de la politique monétaire et bancaire ainsi que de l’émission de la monnaie dans les pays suivants : Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau (depuis 1997), Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Niger, Togo.

 

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